1985. A cette époque, il sortait une nouvelle marque d'ordinateur chaque mois. Le géant de l'électronique Française, Thomson, décida de s'y mettre. Le marché était juteux. "Miam !" On du se dire les costard-cravates, devant les courbes ascendantes en couleur. "Il faut saisir l'opportunité de la conjoncture". Bien sur, l'effort de Thomson sera essentiellement porté sur la manière de vendre le plus de machines et non pas sur les capacités de ces machines elles mêmes. Ayant obtenu le monopole (avec Bull Micral) du marché de l'éducation, Thomson s'apprétait à produire des "sous-ordinateur" et empocher des bénéfices collosaux. Le premier à apparaître sera le TO7. Doté d'un stylo optique et d'un clavier à membrane, il se voulait "sérieux et familial". Je me rappelle, chez S*** rue Kennedy, avoir observé du coin de l'oeil, une personne essayant un TO7 en démonstration. Elle commence à taper sur le clavier, mais c'est si désagréable et douloureux aux doigts, qu'elle réfléchit deux secondes, saisit le stylo optique et s'en sert pour presser les touches ! Pour dire à quel point ces ordinateurs étaient "pensés" : le MO5 avait un bouton de "reset" bien en vue sur le dessus. Une simple pression malencontreuse, un livre inconsidérement posé sur la machine et tout était effacé...Génial sur un nano-réseau. Alors, que ce soit le TO7 ou un peu plus tard le MO5, le constat sera le même. Alors que les ordinateurs individuels n'avait pas 5 ans, Thomson avait réussit à manquer deux ou trois générations... Pas de mode vidéo, pas de circuit sonore (le processeur devait tout gérer sur un bit), comme on disait à l'époque, des ordinateurs "tout pourri de l'intérieur". La seule chose que l'on pouvait porter à leur crédit était le microprocesseur, un 6809, excellent composant. Certainement un moment d'égarement de Thomson qui, pour poursuivre dans la continuité, aurait du choisir le Z80... Mais par contre, une campagne basée sur l'effet "Cocorico" : "C'est Francais, mon bon Monsieur", et un monopole dans l'éducation "Vous comprenez Monsieur, votre enfant pourra travailler sur le même ordinateur qu'en classe", fait que le MO5 va se répandre. Et nous proposer un nouvel axe de travail... |
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by Didier Guillion | | |
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1985. Que cela nous plaise ou non, même si l'on considère cela comme injuste au vu de ces capacités, le MO5 est là et se vend comme des petits pains tricolores. Mais toute médaille à son revers. En dépit des franches rigolades que nous a procuré la simple lecture de ses caractéristiques techniques, nous savons que l'on achète un ordinateur pour plein de bonnes raisons pédagogiques mais qu'ensuite on cherche surtout à y mettre des jeux dessus. Or, des jeux il n'y en a pas. Typiquement Franco-Français, le MO5 n'intéresse pas les éditeurs anglo-saxons. Ses capacités sont trop primaires pour envisager le portage simple de jeux tournant sur de vrais ordinateurs (Mis à part l'excellent "Aigle d'Or" qui sera adapté de l'Oric au MO5 avec un succès plus que mérité) Loriciels nous contacte avec insistance pour nous demander une version MO5 de Véga. Nous leur expliquons que, même si Véga n'utilise que 5% des capacités fabuleuse du Commodore 64, c'est totalement impossible à faire sur un Thomson. Ils insistent lourdement et nous nous mettons à réfléchir à un jeu spécifique au MO5. Une particularité de la machine nous intrigue. L'unique mode vidéo du MO5 gère de manière séparée le plan noir et le plan couleur. Ceci permettrait de travailler assez rapidement sur deux plans. Nous imaginons donc des personnages en noir et blanc, évoluant sur un décor défilant en couleurs (4 couleurs il ne faut pas trop espérer). Rapidement le principe du 5ème Axe voit le jour. Il ne nous reste plus qu'a appliquer la routine habituelle : écrire un assembleur/ désassembleur 6809 en Basic, s'en servir pour écrire un assembleur/désassembleur en assembleur, écrire avec celui-ci un éditeur pour les graphismes... Vous pouvez lire sur cette page l'histoire du jeu. En six mois, le 5ème axe voit le jour et les cassettes envoyées aux principaux éditeurs. Aussitôt les coups de téléphone pleuvent, ce qui nous permet de négocier un pourcentage sur les ventes plus intéressant. Finalement, nous signons avec Loriciels, qui nous demande dans la foulée une version pour CPC 464... |
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by Didier Guillion | | |
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En octobre 1985, nous faisons l'acquisition d'un CPC 664 (version avec lecteur de disquette du 464) pour porter le 5ème Axe qui commence à se vendre très fort sur Thomson. La machine est nettement plus évoluée qu'un MO5 (Il faut l'avouer, ce n'est pas vraiment difficile). Ce n'est toujours pas l'équivalent du Commodore 64, mais cela tient la route. Le problème est que nous devons assurer le portage très rapidement : un mois et nous n'avons jamais vraiment travaillé en Z80. (Les processeurs sont différents et bien sûr tout notre programme est écrit en langage machine). De plus, nous étions respectivement, Olivier lycéen et moi étudiant en Biochimie, c'était les cours la journée et la programmation la nuit, week-end et vacances. Nous choisissons de faire un cross-développement (développement croisé, on édite/compile sur une machine autre que celle qui exécute le programme). Nous écrivons un assembleur/désassembleur Z80 sur Thomson, un programme de conversion de code 6809 en Z80 et connectons Thomson et Amstrad via un cable branché sur le port parallèle. Nous profitons du fait que, contrairement au Thomson, l'Amstrad possède un circuit sonore, pour ajouter une musique polyphonique pendant le jeu, musique écrite à l'origine sur Commodore 64 par Gilles Soulet à l'aide de notre logiciel K-Muse. La version CPC sera livrée juste à temps pour les fêtes de Noël, mais l'écran intégré de très mauvaise qualité du CPC m'aura abimé les yeux à un point tel que je suis resté pendant plusieurs semaines sans pouvoir supporter la lueur d'un écran vidéo... Le 5ème Axe campera une position résolue, pendant plusieurs mois, au top ten des meilleures ventes de jeu en France, (même Hebdogiciel en a dit du bien...) mais nous étions déjà sur un autre projet, un jeu résolument différent de tout ce qui pouvait exister... |
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by Didier Guillion | | |
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En cette année 1986, le jeu vidéo se divise grossièrement en trois catégories. Les jeux de simulation (mais la puissance des ordinateurs n'est pas encore là pour donner une vraie dimension à ce type de jeu), les jeux de "Shoot them up", où l'on tire sur tout ce qui bouge (Doom en sera l'aboutissement en 3D quelques années plus tard), et les jeux d'aventure où il faut résoudre des énigmes pour aboutir au but. Des trois catégories, c'est le jeu d'aventure qui sollicite le plus de réflexion de la part du joueur. Mais, en général, cela se présente comme un jeu de l'oie, où une énigme dans chaque case permet de passer à la case suivante. Nous avions dans nos cartons l'idée d'un jeu où le degré de liberté serait immense, un compromis entre le jeu de simulation, arcade et aventure. Notre création précédente le 5ème Axe, se vendait très bien, nous pouvions donc prendre le risque de nous faire plaisir en tentant l'originalité. Le joueur serait plongé dans un monde immense et il ferait ce qu'il voudrait. L'"aventure" se créerait selon ses actes ce qui garantirait une partie réellement différente à chaque fois. Une fois le principe posé, il nous fallait trouver un cadre qui puisse "entrer" dans les ordinateurs à notre disposition. L'aspect dépouillé du néolithique nous est très vite apparu : conversations simples, nombre d'objets limité, paysages homogènes. Le personnage sera donc un homme préhistorique. L' Homo Sapiens Néandertalensis fut choisi car à l'époque on commençait déjà à réabiliter ce Sapiens et certains scientifiques le dégageait de l'aspect simiesque où l'on voulait le cantonner. Le découpage de jeu dégagea deux modules principaux, et deux subalternes. Tout d'abord il nous fallait montrer en vue subjective le paysage avec montagnes, arbres, nuages, soleil, etc. Ensuite, en vue latérale, le personnage lui-même pour les scènes de discussion, troc, chasse et combat. Les modules mineurs furent la taille des silex pour fabriquer des armes et la création du personnage. Des proposition de module comme fabrication de vêtements ou allumage de feu furent abandonnées. Egalement, l'idée initiale intégrait les sens de l'odorat et de l'ouie dans la perception de l'environnement. Ceci aussi passa à la trappe. A partir de la position dans le plan de jeu, des racines d'un générateur de nombre pseudo-aléatoire étaient calculées, et produisaient un décor différent mais reproductible : si le personnage revenait au même point, il retrouvait l'endroit tel qu'il l'avait vu. La "grille" faisait ainsi trois millions de points différents. Dans notre esprit, le milieu naturel était proche de la savane africaine actuelle, nous avons donc construit un algorithme de "pousse d'arbre" qui simulait des arbustes tel que l'on peut en voir aujourd'hui en Afrique, à partir du générateur de nombres pseudo-aléatoires . Ceci fut utilisé dans la vue latérale. Lorsque Loriciels nous a envoyé les rushes de la jaquette nous avons bondit. Il n'y avait pas de Stegausores à cette époque ! Mais ils n'ont rien voulu savoir... |
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by Didier Guillion | | |
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Dans Sapiens, et contrairement aux jeux qui existaient alors, il fallait avant tout priviligier la diplomatie, les cadeaux, échanges d'objets et éviter les combats. Un joueur qui voulait aller loin, devait en premier lieu repérer les sources qui lui permettrait de se désaltérer et remplir ses gourdes. Ensuite, pour manger, il était impératif de ramasser des pierres, les tailler pour se fabriquer lances, haches et chasser le lapin. Le deuxième objet essentiel etait l'outre que l'on pouvait remplir d'eau afin de traverser des régions où il n'y avait pas de sources. Plusieurs tribus se partageaient le monde, les "Pieds Agiles", tribu de notre héros, dont les ressources étaient la cueillette et la chasse. Au Nord Est, les "Yeux malins", pacifiques, plutôt spécialisés en objets manufacturés et experts en négoce. Au Nord Ouest les "Hyènes Folles", des fanatiques violents avec qui il était très difficile de négocier autrement qu'en fracassant des haches sur les cranes ou vice-versa. Alors, bien évidemment le joueur qui persistait, dès le début du jeu à insulter son chef puis se battre avec lui, se retrouvait pourchassé par l'ensemble de sa tribu et ne passait pas la journée... Un grand plaisir, c'est que 20 ans après, j'entends encore dire "Sapiens ? J'ai rien compris, j'arrêtais pas de mourir de soif et tout le monde me tapait dessus..." Plutôt tenaces, nous voulions coûte que coûte mettre de la musique, et ce, même si l'ordinateur n'avait pas de circuit sonore. C'est le principe de la modulation delta qui sera appliqué. Une fréquence "porteuse", très aiguë est émise sur le bit unique est modulée pour simuler plusieurs voix simultanées (autrement dit, comment jouer un quatuor de Mozart sur un buzzer de montre-bracelet). La musique sera écrite sur "K-Muse" par Gilles Soulet et son dynamisme contribuera largement au succès du jeu. |
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Sapiens fut proposé au Printemps 1986 à plusieurs éditeurs, les négociations furent âpres et passionnées, et c'est une fois de plus Loriciels qui fut choisi comme éditeur. Un éditeur Lyonnais bien connu, qui nous avait filouté entretemps sur un autre travail, n'était plus dans la course. Dans la foulée de la version MO5 de Sapiens, une version pour CPC fut développée ainsi que différentes variantes pour TO7, MO6, TO8 (sur un prototype non carossé en provenance directe de chez Thomson), et pour TO9. Quand Loriciels nous demanda, fin 1986, une version pour Compatible PC de Sapiens (mode CGA) nous décidâmes de revoir notre mode de travail. N'existait-il pas un moyen de ne pas avoir à tout réécrire à chaque fois ? A l'époque c'était la grande guerre entre le Pascal et le C. Nous connaissions un peu le Pascal pour l'avoir pratiqué à la Fac, mais pas du tout le C. En tout cas, les "Pascaliens" honissaient le C, en particulier une revue "Pascallissime", particulièrement virulente. Cela nous a mis la puce à l'oreille (on ne médit que ce sur ce que l'on jalouse) et avons regardé ce langage un peu plus en détail. Le C portait le sobriquet d' "assembleur portable", alléchant... Rien d'assembleur dans le C, mais un langage simple (simpliste même) mais surtout portable. Nous avons acheté un livre et nous nous y sommes mis. Notre premier programme en C a été l'adaptation de Sapiens pour PC. Les mêmes sources furent utilisés mi-1987 pour sortir une version Atari ST de Sapiens, et 20 ans plus tard pour créer une version Macintosh à l'occasion de l'anniversaire de Sapiens. C'est sur Atari ST que nous découvrons notre premier circuit sonore qui permette de jouer des sons numérisés. Nous créons ainsi, à notre connaissance, le premier jeu pour Atari à utiliser une musique de fond jouée avec des instruments numériques. Le son de flûte de pan avait été enregistré à partir d'une canne à pêche en roseau que nous avions sciée. Nous gardons un très bon souvenir de l'Atari ST. En 1987, Sapiens reçut le Tilt d'Or Canal Plus du meilleur jeu d'aventure. Le 5ème Axe et Sapiens nous avaient un peu rodé au métier et permis de constituer un petit capital. Le statut d'auteur de logiciel indépendant était encore nouveau et très ambigu. Nous avons alors décidé de monter une société pour travailler dans un cadre plus "officiel". |
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